Récupérer, stocker, recycler l'eau : ça coule de source
Le recyclage de l'eau est une évidence d'un point de vue environnemental et bientôt économique. La diversité des procédés offre au producteur une relative souplesse pour installer l'aménagement qui convient à son exploitation.
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Si l'approvisionnement en eau ne constitue pas un problème aujourd'hui pour les entreprises qui bénéficient d'eau à moindre frais et tout au long de l'année, il le deviendra forcément d'ici quelques années. La première raison est le renforcement des politiques nationales et européennes vis-à-vis de la préservation des ressources en eau, à la fois en quantité et en qualité. Les incertitudes climatiques constituent le second facteur positionnant l'eau au premier rang des préoccupations dans les années à venir. L'accentuation des contrastes – des étés plus secs, une pluviométrie concentrée sur quelques mois de l'année... – aura un impact sur la gestion de l'arrosage. La problématique de l'eau s'immisce ainsi progressivement dans le quotidien du producteur : obligation d'installer un compteur d'eau pour chaque ouvrage de prélèvement, déclaration des volumes prélevés à l'Agence de l'eau, interdiction de rejeter les effluents et obligation d'étancher les têtes de forage dans les zones déclarées vulnérables... Au-delà de ces contraintes réglementaires, la problématique de l'eau touche la stratégie environnementale de l'entreprise avec, par exemple, la prise en compte des volumes d'eau consommés et recyclés dans les critères d'obtention de certains labels (MPS, Planète bleue...).
Pouvoir récupérer, puis stocker
Collecter l'eau des toitures ou des tablettes de culture est plus facile que de récupérer l'eau qui tombe au sol. Différents revêtements permettent d'imperméabiliser l'aire de culture. Dans tous les cas, le profilage et le nivellement soigneux du sol sont indispensables pour éviter la formation de poches d'eau. Le plus simple consiste à placer une bâche imperméable recouverte d'une toile horssol ou d'une nappe d'irrigation. Le goudronnage est possible mais cher (18 euros HT/m2), de même que le bétonnage. Le drainage horizontal s'effectue grâce une double inclinaison (pente de 0,5 à 1 %) en direction d'un fossé étanchéifié, d'une conduite d'évacuation en béton ou en PVC... En oeuvre depuis une vingtaine d'années aux Pays-Bas, le drainage vertical par culture sur pouzzolane commence à faire des adeptes en France. Le matériau perméable est inséré entre une bâche imperméable et la toile hors-sol, et l'eau est évacuée par un réseau de drains (26 à 32 euros HT/m2).
Tous les ouvrages de prélèvements – y compris les réserves d'eau – doivent faire l'objet d'une déclaration ou d'une demande d'autorisation d'existence en préfecture. L'eau peut être stockée dans un bassin creusé dans un sol argileux ou recouvert d'un liner (exemple de coûts : 43 000 € HT déboursés par l'entreprise Javoy en 2003 pour 8 000 m3 de bassin), dans un silo métallique (attention à la température de l'eau) ou un bassin bétonné, voire une citerne dure ou souple pour des volumes de stockage de quelques dizaines à quelques centaines de mètres cubes. En cas de manque de place, le stockage souterrain, placé sous la serre par exemple, est possible. Le dimensionnement du bassin dépend des apports et des sorties d'eau, et de la surface disponible. Le producteur peut décider de limiter les dimensions du réservoir en fonction des quantités d'eau journalières nécessaires à sa culture et du nombre de jours d'autosuffisance recherché ; il peut aussi estimer la capacité de stockage de façon à récupérer toute l'eau de pluie reçue. En cas de traitement de l'eau, deux stockages sont souvent nécessaires : l'un pour l'eau de drainage « sale », l'autre pour l'eau traitée. Le Pla végétal environnement, reconduit pour la période 2007-2013, prévoit des aides pour les investissements permettant la « réduction de la pression des prélèvements existants sur la ressource en eau ».
Contrôler la qualité de l'eau
Une préfiltration (sédimentation, filtre à sable ou à tamis...) permet d'éliminer les grosses particules de végétaux ou de matière organique présents dans l'eau de drainage. La qualité de l'eau doit être régulièrement contrôlée, surtout si elle est rapidement réutilisée ou si les espèces cultivées sont sensibles aux excès de salinité. Les résidus d'éléments fertilisants et de pesticides présents dans l'eau de recyclage font varier le pH. La conductivité électrique risque d'augmenter. Certains éléments minéraux (SO4 2-, Ca2+, Na+, Cl-, Mg2+) peuvent s'accumuler et provoquer des phytotoxicités ou des antagonismes avec d'autres éléments minéraux. Les matières actives herbicides – traitements phytosanitaires, mais aussi toxines naturelles produites par certaines plantes – circulant en circuit fermé peuvent provoquer des dommages en production ou parmi les plantes des bassins végétalisés. Des mesures correctives doivent être mises en oeuvre : acidifi- cation, dilution avec de l'eau « propre », aération (pompe avec venturi, jet d'eau...)... Le producteur doit aussi tenir compte des caractéristiques de l'eau apportée en complément (eau dure ou riche en chlorure de sodium...) qui augmenteront les déséquilibres au fur et à mesure des recyclages.
Recycler l'eau, mais pas les agents pathogènes
Désinfecter l'eau de drainage s'avère nécessaire dans les cultures très sensibles à certaines maladies transmissibles par l'eau (Fusarium, Phytophthora, Ralstonia, Pythium...). Différents facteurs entrent dans le choix d'un système de traitement : le coût de l'installation, celui de l'exploitation (consommation électrique des pompes et de l'appareil, maintenance...), effets résiduels sur la qualité de l'eau, quantité d'eau à traiter, sensibilité de la culture aux pathogènes, à la salinité ou aux variations de pH... Plusieurs procédés de « désinfection » existent ; de nouveaux ne cessent d'apparaître : osmose inverse, distillation par membrane, électrolyse, ultrasons (Aquasonic...) ou encore ionisation au cuivre (Aqua-Hort®). Certains tuent tous les pathogènes potentiels (stérilisation) ; ils détruisent également la flore antagoniste et l'équilibre microbien. L'eau ainsi stérilisée ne doit pas être stockée plus de quelques heures, au risque qu'une souche pathogène ne s'y développe très rapidement. D'autres appareils ne font que diminuer la « pression » des maladies ou n'éliminent que certains types de pathogènes. Il est possible de combiner différentes techniques.
Des traitements chimiques, physiques ou biologiques
Les méthodes chimiques – hormis l'ozonisation (coût d'installation et consommation d'énergie élevés) – s'avèrent les moins coûteuses (installation de l'ordre de 3 000 à 6 000 euros HT). Le producteur doit tenir compte des précautions d'emploi et des défauts inhérents à chaque produit : efficacité insuffisante du peroxyde d'hydrogène H2O2 utilisé seul, phytotoxicité du chlore – qui peut être également « piégé » par les acides humiques – et du brome... Parmi les méthodes physiques, la stérilisation à ultraviolets (UVC) offre l'avantage d'un équipement compact, pour des débits allant jusqu'à 150 m3/h (capacité maximale du Vitalite d'Hortimax). L'investissement peut dépasser les 10 000 euros HT selon les volumes à traiter. Une filtration préalable, voire une dilution avec de l'eau claire, est d'autant plus nécessaire que la turbidité de l'eau diminue l'efficacité de l'outil. La maintenance comprend le changement des lampes UV dont la durée de vie est de quelques milliers d'heures (8 000 heures pour les lampes basse pression). La consommation électrique varie de 0,5 et 1,6 kWh/m³ d'eau. La thermodésinfection offre une bonne efficacité. L'installation, volumineuse et coûteuse (de l'ordre de 20 000 euros HT), consomme beaucoup d'énergie ; l'eau doit être acidifiée avant chauffage (pour éviter les dépôts calcaires) et refroidie avant utilisation.
La filtration lente (200 à 300 l/m2 de filtre/h), économique à l'usage, élimine assez efficacement les pathogènes, ainsi que d'autres contaminants. Un certain temps de latence est nécessaire pour l'établissement des micro-organismes utiles et la pleine efficacité du filtre, mais il est possible de l'ensemencer artificiellement : la société Biovitis (15) commercialise un mélange bactérien composé de souches utiles sélectionnées et purifiées. Les systèmes à haut-débit requièrent de la place et un investissement élevé. Un excès de particules fines (argile, pollen) peut bloquer le filtre, nécessitant de remplacer le sable de surface. La cuve de filtration en béton proposée par Flowering Plant Ltd (Royaume-Uni) combine différentes techniques physiques, dont l'injection d'air sous pression (2,5 m × 5 m, débit de 8 m3/h). L'efficacité de la phyto-épuration ou épuration par les plantes dépend de la conception et du temps que passe l'eau dans le lagunage (1 à 1,5 mois minimum). Une installation comporte généralement plusieurs zones de différentes profondeurs (30 cm à 2 m), où agissent tour à tour les algues microscopiques, les bactéries aérobies et anaérobies et les végétaux supérieurs. La technique nécessite une surface importante, un entretien annuel par faucardage et un curage tous les 5 à 10 ans. Certains producteurs mettent en oeuvre des solutions simplifiées : bassin unique planté de roseaux, radeaux en polystyrène plantés d'iris...
Parce que tout ne tombe pas du ciel
Le coût du recyclage dépend de nombreux critères : mise en forme ou non de l'aire de culture, complexité du réseau hydraulique (pompes, canalisations...), volume du stockage, traitement de l'eau... L'investissement peut cependant être amorti en quelques années, grâce aux économies d'eau - surtout en tenant compte de la hausse probable du coût de l'eau dans l'avenir – et d'engrais (pour les productions en fertirrigation). Les nouveaux aménagements réalisés pour travailler en circuit fermé (aire de culture sur pouzzolane, subirrigation, nappe d'irrigation...) induisent parfois des gains indirects : homogénéité de culture, temps gagné sur l'arrosage... Le recyclage facilite le surdrainage, pour éviter à la culture tout stress hydrique ou minéral. Le stockage permet au producteur de mieux gérer les périodes estivales de forte demande en eau, alors que les ressources sont souvent déficientes. Enfin, le recyclage évite de rejeter des minéraux et des polluants dans l'environnement : un critère important pour la planète... et l'image de l'établissement. La récupération de l'eau de pluie, quant à elle, reste et demeure un prélèvement : l'eau qui aurait dû rejoindre le milieu naturel est déviée au profit de l'entreprise. Celleci doit donc continuer à diminuer sa consommation d'eau par différents moyens : amélioration du matériel d'arrosage, pilotage de l'irrigation, irrigation localisée, paillage, gestion de la fertilisation, choix du substrat...
Valérie Vidril
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